« C’est l’histoire d’un syndicat détrôné, en perte de vitesse, fermé au dialogue, mais capable de bloquer tout un pays. Une histoire qui coûte cher aux Français. » Voilà le chapeau, tout en finesse, qui introduit le dossier consacré par Le Point du 16 janvier à la CGT. Un résumé tout à fait cohérent avec la couverture du magazine, qui affiche pour titre racoleur, au-dessus d’une photo de Philippe Martinez bras croisés et visage renfrogné : « Comment la CGT ruine la France ».
Cohérent également avec l’éditorial de Franz-Olivier Giesbert, qui vomit sa haine de la CGT,
peuplée de « crypto ou islamo-gauchistes », qualifiée de « syndicat antipauvres », qui se préoccupe uniquement des « petits intérêts catégoriels des agents de la SNCF et de la RATP ». Le dossier luimême est truffé de déclarations gratuites. Qu’on en juge : « Où la CGT passe, le développement
économique trépasse. » Avec comme illustration le nombre d’années de salaire d’un smicard que représentent les pertes de la SNCF lors d’une grève. On a effectivement rarement vu comparaison plus pertinente…
On y lit d’autres morceaux de bravoure de ce type : « Martinez est à la tête d’un mouvement d’ultragauche, animé par la volonté de prendre sa revanche après le mouvement des Gilets jaunes, qui leur a échappé : anciens communistes, éternels communistes, mélenchonistes, sympathisants NPA, fidèles de Lutte ouvrière, membres d’Attac et trotskistes de différents courants, ils tapent tous (très fort) sur la table des discussions au siège national de Montreuil. » Avec une telle description, aucun doute : les auteurs de l’article ont bien assisté à ce qu’ils décrivent…
Les citations qui alimentent le dossier, pour beaucoup anonymes, sont, elles aussi, choisies avec un grand sens de la mesure et du contradictoire. Un patron de PME évoque ainsi un de ses salariés, élu aux élections professionnelles dans son entreprise sous les couleurs de la CGT : « Il est devenu insupportable, toxique, dictatorial. » Citons aussi ce DRH de l’automobile, pour qui « la nouvelle génération de cégétistes est moins bien équipée intellectuellement que la précédente. […] Ils ont zéro force de proposition. »
On apprend encore qu’« on peine à trouver chez [les cégétistes] une vision stratégique à long terme pour leur entreprise ». On passe la diffamation et les insultes : référence à un « système quasimafieux », comparaison avec la méthode de « conviction » des « sectes »…
Le traitement rédactionnel tranche complètement avec celui accordé à Arnaud Lagardère qui, quelques pages plus loin, a droit, pour répondre aux critiques sur sa gestion de Lagardère, à une interview, avec photo tout sourire prise dans son bureau.
Evidemment, certains faits sont passés sous silence dans le dossier du Point. Comme le fort taux de soutien qu’accordent les Français, selon les sondages, à la mobilisation contre le projet gouvernemental de retraite par points. Une mobilisation dont un des fers de lance serait donc une organisation syndicale au « système quasi-mafieux »… Et ce syndicat, dont les méthodes s’apparentent à celles des « sectes », a même obtenu 50% des voix lors des élections professionnelles… au Point !
Ce dossier nauséabond du Point participe, comme quantité d’autres articles parus dans l’hebdomadaire et ailleurs , d’une réelle volonté de discrédit de la CGT. Et même d’un appel à une « mise à mort législative des trublions », comme l’écrit lui-même le magazine. Logique, finalement, quand les « trublions » en question sont ceux qui s’opposent aux vrais privilégiés. Ce privilégié, par exemple, classé sixième fortune française par Challenges en 2019, avec 29 milliards d’euros. Ce même privilégié responsable de près de 1 200 licenciements il y a quelques années à La Redoute.
Ce même privilégié propriétaire du Point. N’est-ce-pas M. Pinault ?
Montreuil, le 18 janvier 2020