Aujourd’hui, Ariane Chemin, grand reporter au Monde, était convoquée à la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) à Levallois-Perret. Le SNJ-CGT, qui avait appelé à un rassemblement, a exprimé son soutien « à tous les journalistes convoqués par l’Etat français, en violation de la loi sur la liberté de la presse » et a réaffirmé la nécessité de se battre « pour la liberté d’informer ».
Ariane Chemin a été entendue pendant 45 minutes, après l’ouverture d’une enquête pour « révélation de l’identité d’un membre des forces spéciales », en l’occurrence un sous-officier de l’armée de l’air, compagnon de l’ex-cheffe de la sécurité du premier ministre. Ariane Chemin avait été amenée à publier son identité dans le cadre de son enquête sur l’affaire Benalla, qu’elle a révélée. Ce sous-officier aurait porté plainte.
La loi sur la liberté de la presse dispose que « le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public ».
Aux questions de la DGSI, qui cherche à identifier comment la journaliste a obtenu ses informations, Ariane Chemin a opposé le secret des sources des journalistes, protégé par la loi sur la liberté de la presse. Cette loi dispose que « le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public » et qu’il ne peut y « être porté atteinte directement ou indirectement […] que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources. »
La loi étend même cette protection à des collaborateurs non journalistes, en précisant : « Est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources […] le fait de chercher à découvrir les sources d’un journaliste au moyen d’investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources. »
Cette convocation à la DGSI ne doit « en aucun cas être vue comme une tentative d’intimidation ou de menace », estime la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. Quant à Emmanuel Macron, il a déclaré le 24 mai que « la liberté de la presse et celle d’informer ne sont ni réduites ni menacées en France ».
Ce n’est pas l’avis de Geoffrey Livolsi, journaliste pour le site Disclose et lui-même convoqué mi-mai par la DGSI après la publication d’une enquête sur l’utilisation au Yemen d’armes françaises vendues à l’Arabie Saoudite. Dans un entretien diffusé aujourd’hui par France Culture, il confie qu’il est « sans précédent dans notre pays » qu’« en moins d’un mois », huit journalistes (travaillant pour Disclose, Radio France, l’émission Quotidien de TMC et Le Monde) aient été entendus par la DGSI.
« On assume d’avoir publié des documents « confidentiel défense » parce que ce sont des informations d’intérêt public qui ne mettent pas en danger des opérations militaires françaises ou des agents militaires français sur le terrain », confie le journaliste. Ce dernier a refusé de répondre aux questions de la DGSI, dont certaines concernaient « la structuration financière du média » ou encore « nos médias partenaires, comme Radio France, par exemple ».
Le but de ces convocations est d’« envoyer une nouvelle fois un message aux sources des journalistes en leur disant : « Nous allons vous traquer, vous chercher si vous informez les journalistes de secrets d’Etat » ».
Geoffrey Livolsi, journaliste à Disclose
Geoffrey Livolsi voit dans ces auditions plusieurs objectifs. D’abord « identifier nos sources ». Ensuite, « envoyer une nouvelle fois un message aux sources des journalistes en leur disant : « Nous allons vous traquer, vous chercher si vous informez les journalistes de secrets d’Etat » ». « Et enfin intimider directement les journalistes et surtout nous occuper, parce que tout le temps qu’on passe à se défendre et à aller aux auditions de la DGSI, c’est du temps qu’on ne passe pas à enquêter », conclut le journaliste de Disclose. Pour lui, « il y a clairement une volonté aujourd’hui, réaffirmée par tout l’exécutif et Emmanuel Macron en premier de mener des procédures contre les journalistes qui dévoilent des sujets d’intérêt public. »
Si c’est la première fois qu’autant de journalistes sont entendus par la DGSI en si peu de temps, il existe cependant de nombreux précédents inquiétants ces dernières années. On rappellera uniquement la convocation en 2017 d’Edwy Plenel et d’un journaliste pigiste de Mediapart, pour la publication de documents confidentiels sur les relations géopolitiques entre le Tchad et la France. Le journaliste pigiste avait même reçu un rappel à la loi, le menaçant de poursuites, si dans les six ans il commettait une « nouvelle infraction de cette nature ». La rédaction de Mediapart a également fait l’objet d’une tentative de perquisition en février, pour identifier la source qui lui a permis de diffuser des enregistrements de conversations entre Alexandre Benalla et Vincent Crase.
Le SNJ-CGT s’élève contre ces pratiques qui portent gravement atteinte à la protection des sources des journalistes, que la Cour européenne des droits de l’homme considère pourtant comme « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse »
Le SNJ-CGT s’élève contre ces pratiques qui portent gravement atteinte à la protection des sources des journalistes, que la Cour européenne des droits de l’homme considère pourtant comme « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse ». La Déclaration des devoirs et des droits des journalistes adoptée en 1971 à Munich établit même comme un devoir pour les journalistes de « garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement ». Quant à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, il estime que le « droit à la liberté d’expression » comprend « la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».
Le SNJ-CGT exige que soit réellement respecté et protégé le secret des sources des journalistes. Il demande l’arrêt de toutes les enquêtes en cours visant à l’identification de ces sources.
Montreuil, le 29 mai 2019